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N° 21
___Le mathématicien français Yves MEYER vient d’être récompensé par le prix Abel.

jeudi 6 avril 2017.

Un nouveau mathématicien français vient d’être honoré pour la qualité de ses travaux. Cette information vous a probablement échappé en raison du faible intérêt que les diverses conférences de rédaction portent à l’univers mathématique. Les articles de presse ayant trait à la recherche mathématique sont extrêmement rares, c’est pourquoi nous tenons à reproduire l’article publié dans le Figaro de ce jour et à remettre en ligne l’article que nous avions rédigé lors de l’attribution du prix Abel à Jacques TITS en 2008.

À 77 ans, passé, entre autres, par Polytechnique, l’École normale supérieure et Princeton, aux États-Unis, Yves MEYER vient de décrocher cette sorte de « Nobel des mathématiques » décerné depuis 2003 par l’Académie des sciences de Norvège.

Le Figaro : Comment avez-vous vécu cette récompense ?

Yves MEYER. - Je suis encore sous le choc. Je ne me considérais pas au niveau de ce prix. Par rapport à Jean-Pierre SERRE, un mathématicien sublime qui l’a reçu en 2003, ou Mikhaïl GROMOV, un géant (récompensé en 2009, NDLR), je ne suis personne ! C’est un choix hautement discutable.

Dans quel sens ?

Je suis récompensé pour mes travaux sur les ondelettes (un outil mathématique qui permet de décomposer un signal en une somme de signaux oscillants pour en faciliter l’analyse, sans perdre d’informations temporelles, NDLR). Or, ce fut un travail d’équipe. Ingrid DAUBECHIES, Stéphane MALLAT ou encore Jean MORLET ont autant contribué que moi à cette théorie. Et c’est le physicien Alex GROSSMANN, au centre de Marseille-Luminy, qui en était le chef d’orchestre.

Analyse harmonique, théorie des nombres, écoulements fluides… Vous avez touché à des domaines très divers.

Cela peut paraître d’une incroyable prétention de quitter un domaine où l’on est compétent pour aller vers un autre où l’on ne connaît rien. Mais je ne vois pas les choses comme ça. J’ai un besoin viscéral de changer. J’ai déménagé treize fois dans ma vie !

Comment l’expliquez-vous ?

On s’ennuie si l’on ne sort pas de sa communauté. De 5 à 17 ans, j’ai grandi à Tunis dans un bouillon multiculturel. Cela a fait de moi un bédouin, un nomade, matériel autant qu’intellectuel. Un cancérologue français, Georges MATHÉ, a dit : « Un chercheur qui s’en va au bout de dix ans fait autant de bien au laboratoire qu’il quitte qu’à celui dans lequel il arrive.  »

Que pensez-vous du projet de création d’un grand pôle scientifique sur le plateau de Saclay ?

Ce projet d’université Paris-Saclay, qui doit rapprocher des universités comme Paris-Sud à quelques grandes écoles telles que Polytechnique, Centrale ou l’Ensae, entre autres, n’est pas une demande qui vient des chercheurs. Pour moi, c’est un colossal gâchis d’argent et une insulte à la dignité de la vie de l’esprit. Tout cela pour atteindre une taille critique qui ferait remonter cette construction artificielle dans le classement de Shanghaï ! Quelle aberration !

Comment expliquer l’excellence française en mathématique ?

La France a décroché près d’un quart des prix Abel et des médailles Fields de l’histoire.

C’est la deuxième nation la plus récompensée après les États-Unis. Il faut l’attribuer à la qualité de l’enseignement de cette matière dans les lycées. Transmettre le feu sacré est dans l’ADN français. Les mathématiciens français se consacrent généralement à l’enseignement à partir de 40 ans (âge à partir duquel il n’est plus possible d’obtenir la médaille Fields, NDLR). Je serais mort de honte de ne pas l’avoir fait.

Vous avez même été professeur de lycée, après avoir été reçu premier à l’ENS Ulm et deuxième à l’agrégation. Ce n’est pas courant.

Il faut replacer les choses dans leur contexte. J’avais 21 ans. Je ne voulais pas faire la guerre d’Algérie, que je condamnais, mais je ne voulais pas non plus commencer une thèse pour y échapper. Je trouvais ça moralement scandaleux. J’ai obtenu le statut de soldat professeur. J’ai ainsi enseigné trois ans au Prytanée de La Flèche (lycée militaire, NDLR).

Et le goût pour l’enseignement ne vous a plus jamais quitté ?

Avoir accompagné et vu éclore des individualités restera une très grande satisfaction. J’ai encadré 50 thèses pendant ma carrière, ce qui est beaucoup, mais je l’ai fait par plaisir. Sans mes élèves, je ne serais rien. C’est peut-être aussi un peu cela que l’on récompense aujourd’hui : ma façon de travailler avec les autres, d’être à l’écoute et de franchir les frontières d’autres disciplines.

Comment expliquez-vous la mauvaise place de la France en mathématiques au classement Pisa ?

Le problème vient du collège unique. Tout le monde doit avoir les mêmes chances. C’est bien sur le papier mais cela ne marche pas. Si le niveau est trop élevé, la moitié inférieure de la classe ne pourra pas suivre. Si, au contraire, vous nivelez par le bas, vous risquez d’empêcher les meilleurs élèves de progresser. Je préfère le modèle allemand qui sélectionne les élèves avant leur entrée en sixième, avec un système de passerelles pour que ceux placés en filière professionnelle puissent revenir vers une filière généraliste.

Une vision plus pragmatique donc ?

Exactement. Il faut aussi laisser plus de libertés aux enseignants. Nous fonctionnons sur un modèle centralisé avec un programme imposé par le ministère. C’est une maladie du système français. Une relation d’amour doit se créer entre un professeur et ses élèves. Il doit pour cela susciter de l’enthousiasme et une volonté de groupe. J’ai été formé au lycée Carnot de Tunis dans lequel l’enseignement était très libre car nous étions loin de la France. Cela vous apprenait à réfléchir. J’y faisais beaucoup de latin et de grec. Au fond, je suis plutôt un littéraire. Ma grande passion restera toujours la littérature : Vassili GROSSMAN, MONTAIGNE, TOLSTOÏ, Stefan ZWEIG ou Ernesto SABATO pour ne citer qu’eux.

Liste des lauréats du prix Abel

Liste des lauréats de la médaille Fields



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