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N° 43 / N° 459 European defence, ’twixt the cup and the lip
___Défense européenne, loin de la coupe aux lèvres

vendredi 29 septembre 2017.
Communication devant le New Policy Forum à Lorient, vendredi 19 septembre 2014

L’union faisant la force et les regroupements permettant de faire d’appréciables économies d’échelle, tous les pays de l’Union européenne devraient s’efforcer de créer une communauté européenne de défense (CED). Pour quelles raisons cette communauté, dont on parle depuis plus de 65 ans, tarde-t-elle tant à voir le jour ?

La raison en est malheureusement fort simple, en raison de l’extrême complexité politique, économique et militaire de sa mise en œuvre.

NEW POLICY FORUM

Communication devant le New Policy Forum à Lorient, le 19.09.2014

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DÉFENSE EUROPÉENNE, LOIN DE LA COUPE AUX LÈVRES

Pour quelles raisons la Communauté européenne de défense , dont on parle depuis plus de 65 ans, tarde-t-elle tant à voir le jour ?

Raisons politiques : La complexité politique de la création d’une CED (communauté européenne de défense) est apparue dès septembre 1950 quand le projet fut esquissé pour la première fois. Pour comprendre comment l’idée de CED est arrivée et a été écartée, il faut rappeler quelques dates clés.

12 février 1948 coup de Prague

17 mars 1948 Traité de Bruxelles retenant le principe d’une alliance militaire Europe –Etats-Unis

24 juin 1948 – 12 mai 1949 blocus de Berlin

4 avril 1949 naissance de l’OTAN (signature à Washington)

29 août 1949 premier essai atomique de l’URSS au Kazakhstan

1er octobre 1949 Proclamation de la République populaire de Chine

25 juin 1950 début de la guerre de Corée

27 mai 1952 Traité de Paris proposant la création de la CED

5 mars 1953 mort de Staline

7 mai 1954 fin de la bataille de Diên Biên Phu

30 août 1954 refus définitif de la ratification du traité de Paris par les députés français.

5 mai 1955 l’Allemagne est autorisée à créer la Bundeswehr qui rejoint immédiatement l’OTAN.

14 mai 1955 Création du pacte de Varsovie

Janvier 1956 adhésion de la RDA au pacte de Varsovie

Aujourd’hui, on a du mal à imaginer que ce sont les États-Unis qui sont à l’origine du concept de CED. Ce sont eux qui ont demandé aux pays européens avec lesquels ils venaient de créer l’OTAN en avril 1949, de former une armée européenne supranationale placée sous la supervision du commandant en chef de l’OTAN, lui-même nommé par le président des Etats-Unis.

Les États-Unis ont toujours fait preuve d’un grand pragmatisme. Lorsque l’allié soviétique et ses satellites communistes sont devenus les ennemis principaux du monde occidental, les Américains ont embauché sans trop de scrupules tous les spécialistes et tous les experts anticommunistes, dont le savoir-faire pouvait leur être utile. Wehrner VON BRAUN est bien sûr le plus célèbre d’entre eux.

Jusqu’en août 1949, les États-Unis, alors seuls détenteurs de la puissance nucléaire, jouissaient d’un avantage stratégique tel qu’ils ne considéraient pas essentiel de pouvoir aligner de nombreuses divisions.

En 1950, l’Union soviétique étant devenue à son tour une puissance nucléaire, il devint impératif d’avoir le plus près du Rideau de fer, le plus de forces conventionnelles possible qui puissent interdire une invasion éventuelle des divisions blindées soviétiques.

L’OTAN comme la CED devant être étroitement contrôlées par les Américains, la création d’une armée européenne ne visait nullement à donner une certaine autonomie militaire à une Communauté européenne en gestation, mais avait pour seul but de permettre l’enrôlement de soldats allemands en contournant le veto qui existait sur le réarmement de l’Allemagne (RFA et RDA).

Élisabeth DU RÉAU, dans son livre publié en 2008, L’idée européenne au XXe siècle : Des mythes aux réalités,‎ prétend qu’à l’occasion d’une réunion de l’OTAN à New York du 10 au 16 septembre 1950, Dean ACHESON, secrétaire au département d’État, exprima clairement la volonté américaine : « Je veux des Allemands en uniforme pour l’automne 1951 ».

Pour rassurer les pays membres de l’OTAN les plus récalcitrants, il était prévu que les soldats allemands ne seraient pas regroupés dans une armée allemande, mais qu’ils seraient répartis, par bataillons, dans les autres armées nationales. Malgré ce, les oppositions au réarmement direct ou indirect de l’Allemagne furent très fortes en Allemagne et encore plus en France. Les députés français mirent fin à la CED en refusant de ratifier le Traité de Paris en août 1954.

L’échec de la CED révéla l’incapacité des États d’Europe occidentale de concevoir un système de défense indépendamment des États-Unis. R. MARJOLIN, qui fut l’un des principaux collaborateurs de Jean MONNET, le confessera dans ses mémoires : « L’incapacité de l’Europe à s’unir résulte d’une décision prise implicitement par les Européens après la fin de la seconde guerre mondiale, celle de s’en remettre aux Américains pour leur défense  ».

L’idée d’une défense européenne fut relancée en 1992, par la signature du Traité de Maastricht (PESC : politique étrangère et de sécurité commune) et fut confirmée en 2007 par la signature du traité de Lisbonne, mais toujours dans le cadre de l’OTAN, c’est-à-dire sous une étroite dépendance de Washington.

En raison de l’omnipotence du grand frère américain, la création d’une communauté européenne de défense a toutes les chances de rester encore longtemps un rêve inassouvi. En raison de l’histoire des peuples, une communauté européenne de la défense coupée de la tutelle américaine est impensable pour la plupart des 27 membres de l’Union européenne, et plus encore pour le Royaume-Uni.

Il y a peu encore, pour marquer le peu de confiance accordée à quelqu’un, certains vieux Polonais utilisaient la formule : « Oui, oui, comme les Français en 1939 ». Ils gardaient en eux la rancœur d’une promesse d’assistance que la France n’avait pas pu tenir. Il n’est donc pas étonnant que la Pologne ait tout fait pour rejoindre l’OTAN en 1999 avant même d’adhérer à l’Union européenne en 2004 et que tous les nouveaux adhérents aient fait de même avant mai 2004.

Le 16 mars 1999, alors que les drapeaux des trois nouveaux États membres étaient hissés devant le siège de l’OTAN, le Secrétaire général de l’OTAN, M. Javier SOLANA déclarait : “L’Histoire verra dans l’adhésion de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque une étape majeure sur la voie d’une Europe marquée par la coopération et l’intégration, sur la voie d’une Europe sans lignes de division”.

Dès le lendemain de l’élargissement de l’Union européenne en 2004, de nombreuses tensions politiques, économiques, puis militaires sont apparues en Europe centrale et orientale, notamment en Géorgie et en Ukraine. Devant un parterre de spécialistes, qui pour beaucoup ont vécu avec inquiétude et pour certains avec douleur la fin de l’Union soviétique, je n’aurai bien sûr pas l’impudence de nommer les principaux responsables de cette situation.

Pas d’accusation donc, mais des questions.

Depuis le 11 septembre 2001, la plupart des armées occidentales sont empêtrées dans de nombreuses opérations militaires qui se sont toutes avérées plus longues, plus délicates et plus coûteuses que prévu. Aucune de ces opérations, mêmes les plus anciennes, ne peut être considérée comme définitivement terminée, ni même seulement comme circonscrite (Afghanistan, Irak, Lybie, etc.). En donnant à leurs combats le caractère religieux le plus extrémiste, les terroristes qui se prétendent musulmans arrivent à attirer vers eux de nombreux postulants au martyre, dans les pays en guerre et aujourd’hui en Europe.

Le djihadisme, qui est un nouveau nihilisme, constitue LA menace de l’heure. Tout doit être fait pour le combattre efficacement. Les alliés n’ont pu abattre le nazisme sans l’aide de l’Union Soviétique de Staline. Les Occidentaux auront les plus grandes difficultés à réduire le djihadisme sans l’assistance de la Russie de Poutine. C’est pourquoi la résolution de la crise ukrainienne ne doit pas être regardée à l’aune de la seule Europe centrale et orientale.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, de même que la zone euro rencontre des difficultés depuis sa création, en raison de la trop grande disparité des économies des différents pays de cette zone de monnaie unique, de graves dysfonctionnements ne manqueraient pas de survenir dans une armée unique européenne à cause de l’immense variété des niveaux opérationnels et des cultures militaires des armées nationales et surtout des préoccupations géopolitiques et diplomatiques de leurs gouvernements.

Il est actuellement unanimement admis qu’une Communauté européenne de défense ne devrait pas avoir pour objectif de mettre sur pied UNE armée européenne, mais de coordonner les politiques de défense des États. Pour ce faire, il faudrait penser une politique de défense européenne cohérente qui soit vraiment européenne et non l’addition de la politique des États. Il faudrait définir l’intérêt général européen qui dépasse les intérêts nationaux particuliers pour pouvoir optimiser et mutualiser les moyens militaires disponibles dans l’Europe des 28, (27 pays membres depuis le Brexit, mais 28 pays qui conservent des intérêts géostratégiques communs).

Depuis 1950, les conditions préalables à la création d’une CED ne sont toujours pas réunies. Mais de nombreuses mesures liées aux exigences de l’OTAN ont permis de nombreuses harmonisations très positives dans le domaine des procédures et dans le domaine des matériels et des armements.

Raisons économiques : L’effort d’harmonisation des matériels et des armements n’est malheureusement pas allé assez loin. La concurrence que continuent de se livrer les marchands d’armes européens dans de trop nombreux domaines, concurrence faussée par les marchés nationaux réservés, est une des entraves principales à une démarche de CED.

Il est particulièrement regrettable que toutes les usines d’armements et de matériels en Europe n’aient pas été invitées à appliquer une stratégie industrielle et commerciale du type de celle qui a permis l’exceptionnelle réussite du groupe Airbus.

En raison de l’augmentation des coûts de recherche et de développement dans le domaine de l’armement et des matériels, les industries sont condamnées à coopérer, à se diversifier ou à disparaître. Paradoxalement, alors que de nombreux fabricants d’armes européens se livrent une féroce concurrence sur le marché mondial, les armées européennes sont contraintes d’acheter de nombreux matériels et équipements en dehors de l’Europe.

Mis à part celles du Royaume-Uni et de la France, aucune des armées européennes n’a de véritable capacité de projection. Même les Britanniques et les Français, qui sont les moins mal lotis, ne peuvent lancer une opération militaire d’envergure sans devoir faire appel aux Etats-Unis et parfois à la Russie.

Dans la perspective d’une éventuelle CED, il serait souhaitable que les armées européennes recherchent des complémentarités et mutualisent leurs moyens et équipements militaires dans une Coopérative d’utilisation des matériels militaires. Cette structure serait chargée d’acquérir sur financement européen les armements ou les moyens de transport qu’aucune armée de l’Union européenne n’a les moyens d’acquérir seule pour un usage hypothétique.

Nos préconisations sont de nature à favoriser l’émergence d’une CED, mais sont dérisoires au regard des changements indispensables. Les 27 États membres ne marqueront une réelle volonté de bâtir une Communauté européenne de défense que lorsqu’ils consentiront à faire des efforts budgétaires semblables en matière de défense. On en est malheureusement fort loin et, pire encore, les écarts des budgets défense (exprimées en pourcentage du produit intérieur brut) ne cessent de se creuser depuis 1989, entre les pays qui, comme l’Allemagne, s’en remettent totalement à l’OTAN et ont diminué leurs dépenses militaires de plus de 55 %, et les rares pays qui, comme la France, s’efforcent de donner à leurs forces armées les moyens d’une autonomie minimum.

Raisons militaires : Après la seconde guerre mondiale, le monde est resté longtemps militairement bipolaire et le vocabulaire binaire (Est-Ouest). Les pays européens, qui étaient en dehors du bloc soviétique et qui voulaient le rester, n’avaient d’autre choix que de devenir les alliés des États-Unis et d’être leurs subordonnés dans le cadre de l’OTAN. En Europe, aucun pays, ni aucune coalition, ne pouvait sérieusement penser pouvoir s’opposer à la puissance militaire et idéologique de l’Union soviétique sans avoir recours à l’incomparable complexe militaro-industriel américain. Même en France, qui a quitté en 1966, sous la présidence de Charles DE GAULLE, la structure militaire intégrée de l’OTAN au nom de l’indépendance nationale, presque tous les responsables militaires français se sont efforcés de maintenir une collaboration étroite avec l’Alliance atlantique.

Depuis la chute du mur de Berlin, alors que le monde est devenu multipolaire, les pays de l’OTAN n’ont pas jugé utile de redéfinir les objectifs et les modalités d’interventions de l’Alliance atlantique. Les États-Unis n’ont bien sûr aucune raison de changer des règles du jeu qui leur ont été si favorables, et qui le sont encore ; en revanche il serait temps que les pays d’Europe apprennent à penser autrement le monde, avec un cerveau européen, doté de deux hémisphères ayant la même fonctionnalité.

Pendant la guerre froide, les États-Unis ont accompagné leur course à l’armement d’une féroce bataille idéologique et médiatique. Répondant à la logique binaire du choc frontal, leurs « spin doctors » ont forgé des éléments de langage permettant de connoter positivement le monde occidental et de connoter négativement le monde communiste. À l’aide de la technique du Storytelling, les « faiseurs d’image » ont façonné dans l’imaginaire européen une grille de lecture qui criminalise tout ce qui vient de l’Est et qui idéalise tout ce qui appartient à l’Ouest.

Ces traitements médiatiques qui ont montré leur remarquable efficacité, ont eu, et ont encore aujourd’hui, un effet pervers très grave. Car, les Occidentaux en général, et les Américains en particulier, ont fini par confondre les histoires qu’ils ont fabriquées et qu’ils se sont racontées, avec les réalités.

Lorsque les États-majors américains croient pouvoir déployer aisément l’étendard de la démocratie partout où leurs soldats posent le pied, ils se laissent abuser par la propagande de leur propre gouvernement et ils méconnaissent les recommandations qu’a formulées au VIe siècle avant JC SUN TZU dans l’Art de la guerre : « Le bon général a gagné la bataille avant de l’engager. Le mauvais général engage la bataille dans l’espoir de la gagner ».

Pour gagner les batailles avant de les engager, il faut chercher à avoir une parfaite connaissance de l’adversaire et savoir différer les batailles dont l’issue reste incertaine.

Or, pour des raisons culturelles et linguistiques, les Américains, et les Occidentaux de plus en plus, montrent une grande ignorance de la complexité du monde et une connaissance biaisée de ce qu’ils croient être l’altérité.

Ce n’est qu’en recouvrant une indispensable liberté de penser que les membres européens de l’OTAN pourront faire bénéficier l’Alliance de leur expérience et de leur riche diversité. C’est pourquoi l’existence d’une communauté européenne de défense n’a d’avenir et d’intérêt que si elle se crée à côté de l’OTAN.

En raison de leur superpuissance militaire et économique, les États-Unis ne sont pas enclins à la prudence et semblent même parfois avoir une lecture totalement inversée de la phrase de CLAUZEWITZ : La politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens.

Pour l’Europe multiculturelle, le terrorisme islamiste représente la plus terrible et la plus probable des menaces. L’Histoire la plus récente nous enseigne qu’on ne peut pas mettre un terme à la violence djihadiste en lui opposant la seule force brutale des armes. L’État islamiste, ou Daech, ne peut être durablement renversé qu’en s’attaquant aux problèmes sociaux, sociétaux, politiques et culturels qui lui ont permis de naître.

En septembre 2014 à Paris, s’est formée une large coalition hétéroclite (OTAN, Turquie, Arabie Saoudite, etc) pour combattre Daech. On fait dire au Maréchal FOCH : « J’ai beaucoup moins d’admiration pour Napoléon depuis que j’ai commandé une coalition. »

Espérons que les plus sages des coalisés auront le courage de rappeler aux plus impatients de leurs partenaires qu’un bon allié n’est pas celui qui accepte de faire avec vous toutes vos bêtises, mais celui qui vous aide à ne pas les faire, et mieux encore, celui qui vous aide à les réparer en vous apportant toute sa force morale.



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